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Quelques mots sur le compositeur et sa fameuse Sonate pour flûte, alto et harpe...

 

           On peine à réaliser aujourd’hui à quel point Claude Debussy (1862-1918) a renouvelé le langage musical de son temps. Il faut pourtant se rappeler qu’au moment où il achève Pelléas et Mélisande (1902) et La Mer (1905), Puccini présente Madame Butterfly (1904),  Mahler sa Symphonie n° 7 (1905), Richard Strauss son opéra Salomé (1905), et Sibélius sa Symphonie n° 3 (1906) !

Peut-être peut-on expliquer l’anti-conformisme du compositeur par sa formation peu conventionnelle. Enfant, il ne va pas à l’école : il est instruit par sa mère et une tante qui remarque ses dons musicaux. De sa première enfance plutôt perturbée (son père fait 2 ans de prison pour avoir combattu auprès des communards), il gardera toujours un esprit rebelle, très indépendant et porté sur l’ironie.

À l’âge de 10 ans, il est admis au Conservatoire, ce qui en dit long sur sa précocité. C’est un élève plutôt dissipé et souvent en retard. Au cours des dix années qu’il y passera, il n’obtiendra qu’un seul 1er prix... en accompagnement au piano ! Cependant, il est vu par ses professeurs comme un élève intelligent, et plutôt talentueux. Il trouve la classe d’harmonie sans intérêt. Son professeur critique ses devoirs, avant d’ajouter : « Évidemment, tout cela n’est guère orthodoxe, mais c’est bien ingénieux ».

Le chatoiement et l’élégance de l’art debussyste ne doivent pas nous dissimuler l’audace d’un langage rigoureux, subtil et très en avance sur son temps : « J’écris des choses qui ne seront comprises que par les petits-enfants du XXe siècle. »

 

Sonate pour flûte, alto et harpe

 

Les dernières années de Debussy sont assombries par la maladie et la 1ère guerre mondiale qui renforce encore ses sentiments nationalistes. Il projette de composer six sonates pour différents instruments en référence aux Concerts Royaux de Couperin. Il n’aura la force d’en terminer que trois dont celle pour flûte, alto et harpe, la seconde du cycle et la plus singulière, est achevée fin 1915. Dans ces pièces qui se veulent dans la tradition française, Debussy prône « la fantaisie dans la sensibilité », face aux « ennuyeuses machines à développements cycliques et chorals obligés » d’un César Franck.

 

Elle comporte trois mouvements et dure à peu près vingt minutes :

          1. Pastorale (Lento, dolce rubato) : sur quelques notes égrenées par la harpe, la flûte, bientôt subtilement remplacée par l’alto, installe d’emblée le climat qui baignera toute l’œuvre : sensuel, lyrique mais « affreusement mélancolique » comme le compositeur l’écrit à son éditeur        .

Après un court épisode central noté « vif et joyeux »        , les thèmes du début sont repris dans un ordre complètement différent         et le mouvement se conclut par une interrogation sans réponse

          2. Interlude (Tempo di minuetto) : ce « mouvement de menuet » débute à nouveau par la flûte qui énonce un thème lent et langoureux ensuite librement varié        . Il est interrompu par deux épisodes plus « allants »               et se termine comme en suspens par une dernière variation rêveuse du thème initial         .

          3. Finale (Allegro moderato ma risoluto) : c’est le mouvement le plus énergique et enjoué. Il démarre par une conversation animée des trois instruments        . Une partie centrale marcato a des allures d’ancienne chanson populaire française        . S’ensuit un court épisode plus nostalgique puis on retrouve l’animation du début en plus dionysiaque       . Après un rappel fugitif du thème initial de la pastorale, quelques mesures vigoureuses concluent l’œuvre       .

 

Flûte, alto et harpe : c’est la première fois qu’une telle formation est adoptée dans la musique de chambre. Nous savons que le compositeur a choisi avec soin le mariage des trois sonorités. Pour obtenir l’atmosphère légère et fluide qui caractérise l’œuvre, il avait d'abord pensé au hautbois plutôt qu’à l'alto. Son choix définitif permet un mélange plus intime, plus délicat et tout en subtiles demi-teintes.

Ce qu’il écrit à propos des Sept enfantines de Moussorgski définit parfaitement son propre style : « Cela se tient et se compose par petites touches successives, reliées par un lien mystérieux et par un don de lumineuse clairvoyance. »

La formation insolite imaginée par Debussy a par la suite inspiré bien des compositeurs, dont Jolivet, Bax, Jongen et Takemitsu.

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